Une contagieuse «Vie parisienne» – LE DEVOIR Christophe Huss, 4 novembre 2024
L’Opéra bouffe du Québec présentait en cette fin de semaine La vie parisienne, de Jacques Offenbach,
à la Maison des arts de Laval. Le bonheur distillé par le spectacle prouve que le plaisir musical n’est pas
qu’une question de moyens, mais aussi de coeur.
L’opérette au Québec, ce n’est pas l’amour fou. L’Opéra de Montréal s’en moque complètement, même
pour des chefs-d’oeuvre du genre, comme La belle Hélène d’Offenbach, et quand, au hasard, une
Chauve-souris de Strauss émerge, c’est dans une production sinistre.
On constate heureusement un bouillonnement récent. Jean-François Lapointe, à Québec, semble
apprécier les opéras « heureux » et a programmé La vie parisienne au dernier Festival d’opéra de Québec . À Classica, Marc Boucher a créé le « Nouvel Opéra métropolitain » avec, entre autres, pour objectif de raviver ce répertoire. On attend désormais que les résultats soient aussi impressionnants que la dénomination, les ambitions et les gigantesques moyens alloués.
Dans l’ombre de tout ce monde bien né, il y a un « organisme de bienfaisance », justement nommé, et
ainsi reconnu depuis 2014, actif depuis 1984 et qui croit dur comme fer à la pertinence de l’opérette :
l’Opéra bouffe du Québec (OBQ). Outre le fait de présenter des opérettes, son objectif est également
d’offrir des occasions à de jeunes talents d’ici. Le directeur musical de l’OBQ est Simon Fournier, qui,
avec cette Vie parisienne mise en scène par Alain Zouvi, dirigeait sa 22 production.
Le premier constat est qu’il y a eu six représentations mises en scène (certes dans une salle à la
capacité modeste) de cette Vie parisienne, ce qui est bien plus que lorsque Classica révèle en une
soirée unique un ouvrage rare tel L’adorable Belboul, . Si l’on veut faire revivre l’opérette,
il serait donc peut-être intéressant que les gens communiquent et bâtissent en coopération avec le
terreau qui existe déjà.
Évidemment, La vie parisienne de l’OBQ ne se compare pas, dans la facture et dans la finition, avec
celle du Festival d’opéra de Québec en juillet dernier. L’orchestre réduit fait ce qu’il peut, et les chœurs
sont formés des « obéquistes, bénévoles passionnés qui chantent, dansent et s’impliquent dans les
comités costumes, décors et accessoires ». Mais sort-on moins heureux du spectacle ? Oh que non !
Tout le monde est tellement joyeux d’être là, tellement engagé que cette fête collective est contagieuse.
En être témoin devient un privilège. Dès notre entrée dans la salle, les « obéquistes », en costumes
1900 très étudiés, nous accueillent et nous mettent dans l’ambiance.
La part de l’esprit
L’esprit taquin de l’opérette flotte partout : une Marseillaise détournée en consignes de sécurité, une
chanteuse qui instille le jingle musical de la Société des chemins de fer… Parce qu’ils ont du plaisir,
nous en avons aussi, et la distribution est solide avec un impeccable duo Gardefeu (Emmanuel Hasler)
et Bobinet (Samuel Tremblay) et des personnalités féminines bien cernées.
Rachèle Tremblay est une Métella de grande distinction, qui fait juste ce qu’il faut. Charlotte Vigneault a
le tempérament de feu de Gabrielle (la prononciation pourrait être un tout petit peu plus affûtée), et son
duo avec le désopilant Frick d’Andoni Iturriria est parfait (en voyant cette limpide efficacité — fruit du
travail de Zouvi également —, on repense à la production de Québec, qui trouvait nécessaire d’attifer
Gabrielle en punk et on se dit soudain : à quoi bon ?).
Jessica Latouche déploie une belle voix lyrique en baronne, et Amélie Baland Capdet fait un grand
numéro de séduction en Pauline. Ici, à son arrivée en amirale, c’est son chapeau qui déclenche l’hilarité
de la salle. C’est ça, l’opérette : les ressorts comiques peuvent être très simples, et on soulignera le soin
apporté aux costumes et aux accessoires.
Simon Chaussé personnifie le genre. En tant que baryton, il n’est pas Étienne Dupuis ou Gordon
Bintner, mais les moyens sont largement suffisants et, en baron Gondremark, il est tellement acteur,
tellement drôle, qu’il est un diamant pur pour ce type de production et d’organisation. On reverra
certainement aussi à l’OBQ la mezzo Caroline Yergeau, d’un abattage étonnant.
Simon-Charles Tremblay-Béchard en Prosper privilégiait aussi la comédie, sans vraiment convaincre
vocalement, tandis que Mehdi Mikaeilzadeh en Brésilien, malgré son enthousiasme, ne marquait guère
de points sur ces deux tableaux.
La compagnie est à suivre et mérite des moyens pour assurer sa pérennité et son développement,
d’autant que l’occasion pour les jeunes de se produire dans tous ces rôles de solistes est précieuse.
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